dimanche 1 juin 2008

À propos d'une annulation de mariage

La récente décision du tribunal de Lille de statuer en faveur d'une annulation de mariage, sur le fondement de l'article 180 du code civil, fait couler beaucoup d'encre.
Le motif de la demande semblant d'ordre religieux, la laïcité semble concernée, alors tentons de poser quelques arguments pour réfléchir à cette question.

Les faits d'abord :

- Le tribunal de Lille a rendu en avril 2008 un jugement reconnaissant l’annulation d’un mariage, annulation demandée par le mari qui estimait avoir été trompé, son épouse lui ayant assuré avant le mariage qu’elle était vierge, et le mari ayant réalisé au cours de la nuit de noces qu’elle ne l’était pas.
- Les deux époux sont de confession musulmane.
- Les deux époux s’accordent pour demander la nullité du mariage.
- De nombreuses personnes et personnalités ayant un statut ou un poids médiatique (Elisabeth Badinter, des membres du PS, de l’UMP, l’Association « Ni putes ni soumises », la Chancellerie, des ministres et des secrétaires d’État) se sont émues du statut de la femme sous-tendu par cette décision de justice. Selon ces personnes, ce jugement implique que la virginité est considérée comme une qualité intrinsèque de la personne, ce qui constituerait une pression supplémentaire faite sur la vie des femmes.
- Rachida Dati, ministre de la Justice, a approuvé cette décision en soulignant que c’était une décision qui protégeait la femme (article).
- La décision du tribunal s'appuie sur l'article 180 du code civil, qui précise que
"Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public. L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage.
S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage." (Art. 180 Modifié par la Loi n°2006-399 du 4 avril 2006 - art. 5 () JORF 5 avril 2006)
À noter que la phrase « sur les qualités essentielles de la personne » a été ajoutée en 1975 pour harmoniser avec le droit du divorce lors de la création du divorce par consentement mutuel.
- Le texte du jugement.

Analysons sous plusieurs angles.

1. Ce débat relance sur la place publique la question du statut de la femme. Ce débat est très important, il est donc plutôt positif qu’une occasion de le traiter soit à nouveau donnée.
2. Par contre il n’est pas sûr que cette question soit véritablement en jeu dans cette affaire-là. Il est possible de penser que le mari accordait une importance réelle à la virginité des deux époux avant le mariage, ce qui n’implique pas un statut d’inégalité entre l’homme et la femme.
3. L’aspect religieux de la question est strictement personnel : de nombreux commentateurs musulmans ont réagi et expliqué que la non-virginité n’est pas un empêchement religieux au mariage. Il s’agit donc d’une interprétation personnelle de l’islam de cet homme-là (tout comme on trouvera des chrétiens pour avoir cette conception de la sexualité, et des chrétiens d’autres courants de pensée qui ne comprennent pas la sexualité ainsi).
4. - Beaucoup s’indignent de cette annulation alors qu’elle a été demandée par les deux parties. Si l’annulation du mariage avait été refusée, qu’aurait-il fallu faire ? Les forcer à vivre ensemble ? La Justice a pour rôle de protéger le faible lorsque celui-ci est menacé. En la matière il y avait consentement mutuel à annuler le mariage (ce qui vaut d'ailleurs certainement mieux d'un point de vue moral pour ces deux personnes, aux conceptions apparemment si incompatibles, soit dit en passant). On peut se poser la question : cette jeune femme a-t-elle subi des pressions pour accepter ce mariage ? Cette hypothèse pose un autre motif de nullité du mariage, qui aurait pu être invoqué. Et si ce cas avait été invoqué, tous ceux qui s’insurgent contre le jugement du TGI de Lille auraient applaudi des deux mains…
5. La confiance entre les époux est une qualité morale, pas un point de droit, ont relevé de nombreuses personnes. Par contre le mensonge est un point de droit, caractérisé en l'occurrence car il a été clair lors des préparatifs du mariage que la virginité de l'épouse était une condition pour que le mariage ait lieu. Le tribunal avait donc des arguments juridiques pour prononcer la nullité. Sur ce blog, est expliqué assez clairement le point suivant : le tribunal n’a pas jugé que la virginité était un caractère essentiel, mais que, l’épouse consentant à la demande de nullité, elle reconnaissait implicitement avoir menti à son époux sur un point qu’elle savait essentiel pour lui, et qui aurait empêché le mariage s’il avait su la vérité (ce point essentiel aurait pu être différent, semble-t-il).
6. La Justice Française a ici dit le droit. La société doit se poser des questions sur ce qui s'est passé, pourtant ce n'est pas la justice qui est en cause, mais bien plutôt le législateur. La loi peut sans doute être améliorée, mais le risque est aussi de voir arriver une loi de circonstance.
7. Un autre point à retenir de cette histoire, c'est la médiatisation mêlée à la peur suscitée et entretenue par les médias autour d’une certaine image de l’islam. Il est toujours délicat de bâtir des raisonnements à partir de suppositions, mais il y a fort à penser que si cette décision avait concerné deux personnes de culture catholique traditionaliste, on aurait traité cette affaire par le mépris et la condescendance réservées aux comportements considérés comme relativement inoffensifs. Mais parce que l'Islam fait peur, on assiste à une levée de boucliers (Un clair résumé de cette opinion ici).

POUR CONCLURE
- Le statut et le droit des femmes, leur égalité avec les hommes, sont des piliers essentiels de notre société, qu’il convient de surveiller, de protéger et de renforcer chaque fois que c’est nécessaire. Nous sommes ici dans un cas limite, et il est sain que le débat ait lieu. Il faut simplement veiller à écouter tous les arguments de chacun, et accepter de discuter des convictions différentes. Et ne pas se tromper de cible.
- La laïcité est une condition nécessaire pour que les différentes convictions religieuses et philosophiques cohabitent en paix et collaborent de manière constructive à la société. Ce jugement ne semble pas contraire à la laïcité dans la mesure où les attendus du jugement montrent qu’il n’a pas été rendu sur la base des convictions religieuses (bien qu’elles jouent un rôle) mais sur un aveu judiciaire, autrement dit sur le fait que, l’épouse consentant à la nullité du mariage, elle reconnaissait ainsi, en droit, qu’elle avait lésé son mari.

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